Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/373

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dans douze miroirs. Laissez donc un peu couper la faux du temps, ne grattez pas la verdure des vieilles pierres, point de badigeon aux tombeaux et n’ôtez pas les vers de dessus les cadavres pour les embaumer ensuite et vivre avec eux.

Au delà de Pau, le paysage devient triste, sans être encore grandiose. Il n’y a plus rien ici de la vivacité et de l’hilarité bayonnaises ; à Lourdes, à Argeiès, à Pierrefitte, aux eaux voisines et aux eaux chaudes, les vêtements sont bruns ; comme les troupeaux, les hommes sont laids et petits, beaucoup de goîtres chez les femmes ; plus de saillies ni d’éclats, on est triste, l’hiver a été rude, il fait froid, le vent souffle de la montagne, le gave gronde et emporte à chacun un morceau de son champ ; on est éloigné des grandes villes et le transport est cher, et pourtant l’herbe est haute, la culture va jusqu’au haut des montagnes et s’attache aux pans escarpés des rochers. La nature est riche et l’homme est pauvre, d’où cela vient-il ? Si on n’avait devant soi les pics des Pyrénées, on trouverait superbes ces montagnes d’avant-poste, ces paysages si pleins de fraîcheur, ces vallées qui ont l’air d’une corbeille de marbre tapissée d’herbes. J’ai été à pied de Assat aux Eaux-Chaudes, le long du gave qui roulait au fond sous des touffes d’arbres. La route serpente le long d’un côté, suspendue aux rochers, comme un grand lézard blanc qui en suivrait tous les contours ; je marchais vite, écoutant le bruit de l’eau et regardant les sommets de la montagne.