Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/430

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vengeance sera accomplie. On m’a parlé d’un jeune Corse dont le frère avait été tué à coups de poignard ; il alla dans le maquis à l’endroit où on venait de déposer le corps, il se barbouilla de sang le visage et les mains, jurant devant ses amis qu’il ne les laverait que le jour où le dernier de la famille ennemie serait tué. Il tint sa parole et les extermina tous jusqu’aux cousins et aux neveux.

J’ai vu aujourd’hui, à Isolaccio, chez le capitaine Lauseler où je suis logé, un brave médecin des armées de la République dont le fils s’est enfui en Toscane et qui lui-même a été obligé de quitter le village où il habitait. Sa fille s’était laissé séduire ; le père de l’enfant néanmoins reconnaissait son fils, mais il refusait de lui donner son nom en se mariant avec la pauvre fille. Il joignit même l’ironie à l’outrage en assurant qu’il allait bientôt faire un autre mariage et en ridiculisant en place publique la famille de sa maîtresse, si bien qu’un jour le fils de la maison a vengé l’honneur de son nom, comme un Corse se venge, en plein soleil et en face de tous. Pour lui, il s’est enfui sur la terre d’Italie, mais son père et ses parents, redoutant la vendetta, ont émigré dans le Fiumorbo.

À Ajaccio j’avais vu également un jeune docteur qui a quitté Sartene, son pays, trois cousins à lui et son frère ayant déjà été les victimes du même homme et lui menacé d’en être la cinquième ; aussi marchait-il armé jusqu’aux dents