Page:Flaubert - Salammbô.djvu/262

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Mâtho, en se tordant les bras, s’écria :

— Non ! non ! c’était pour te le donner ! pour te le rendre ! Il me semblait que la Déesse avait laissé son vêtement pour toi, et qu’il t’appartenait ! Dans son temple ou dans ta maison, qu’importe ? n’es-tu pas toute-puissante, immaculée, radieuse et belle comme Tanit !

Et avec un regard plein d’une adoration infinie :

— À moins, peut-être, que tu ne sois Tanit ?

« Moi, Tanit ! » se disait Salammbô.

Ils ne parlaient plus. Le tonnerre au loin roulait. Des moutons bêlaient, effrayés par l’orage.

— Oh ! approche ! reprit-il, approche ! ne crains rien ! Autrefois, je n’étais qu’un soldat confondu dans la plèbe des Mercenaires, et même si doux, que je portais pour les autres du bois sur mon dos. Est-ce que je m’inquiète de Carthage ! La foule de ses hommes s’agite comme perdue dans la poussière de tes sandales, et tous ses trésors avec les provinces, les flottes et les îles, ne me font pas envie comme la fraîcheur de tes lèvres et le tour de tes épaules. Mais je voulais abattre ses murailles afin de parvenir jusqu’à toi, pour te posséder ! D’ailleurs, en attendant, je me vengeais ! À présent, j’écrase les hommes comme des coquilles, et je me jette sur les phalanges, j’écarte les sarisses avec mes mains, j’arrête les étalons par les naseaux ; une catapulte ne me tuerait pas ! Oh ! si tu savais, au milieu de la guerre, comme je pense à toi ! Quelquefois, le souvenir d’un geste, d’un pli de ton vêtement, tout à coup me saisit et m’enlace comme un filet ! j’aperçois tes yeux dans les flammes des phalariques et sur la dorure des boucliers ! j’entends ta