Page:Flaubert - Salammbô.djvu/293

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couchant par terre, entendaient le battement de leurs pas dans les ténèbres. De temps à autre, pour les ralentir, Barca faisait lancer derrière lui des volées de flèches ; plusieurs en furent tués. Quand le jour se leva, on était dans les montagnes de l’Ariane, à cet endroit où le chemin fait un coude.

Mâtho, qui marchait en tête, crut distinguer dans l’horizon quelque chose de vert, au sommet d’une éminence. Le terrain s’abaissa ; et des obélisques, des dômes, des maisons parurent : c’était Carthage !

Il s’appuya contre un arbre pour ne pas tomber, tant son cœur battait vite.

Il songeait à tout ce qui était survenu dans son existence depuis la dernière fois qu’il avait passé par là ! C’était une surprise infinie, un étourdissement. Puis une joie l’emporta à l’idée de revoir Salammbô. Les raisons qu’il avait de l’exécrer lui revinrent à la mémoire ; il les rejeta bien vite. Frémissant et les prunelles tendues, il contemplait, au delà d’Eschmoûn, la haute terrasse d’un palais, par-dessus des palmiers ; un sourire d’extase illuminait sa figure, comme s’il fût arrivé jusqu’à lui quelque grande lumière ; il ouvrait les bras, il envoyait des baisers dans la brise et murmurait : « Viens ! viens ! » un soupir lui gonfla la poitrine, et deux larmes, longues comme des perles, tombèrent sur sa barbe.

— Qui te retient ? s’écria Spendius. Hâte-toi donc ! En marche ! Le Suffète va nous échapper ! Mais tes genoux chancellent et tu me regardes comme un homme ivre !

Il trépignait d’impatience ; il pressait Mâtho ;