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NOTES

pour y découvrir quelques traits de mœurs. Ouf ! j’en ai bien encore pour deux jolis mois de préparation. Je suis bien inquiet, mon bon, et mon supplice n’est pas encore commencé. » (Voir Correspondance, III, p. 143.)

Effrayé de l’inquiétude de Flaubert et de l’étendue de son entreprise, son ami Jules Duplan lui conseille d’abandonner Carthage et de reprendre la Tentation. Non ! répond Flaubert, « Saint Antoine est d’ailleurs un livre qu’il ne faut pas rater. Je sais maintenant ce qui lui manque. Je suis dans Carthage, et je vais tâcher au contraire de m’y enfoncer le plus possible et de m’exalter. » En effet, il achève ses lectures et entrevoit maintenant d’autres difficultés : celles qu’il a rencontrées et vaincues dans ses précédents livres, celles de la phrase. C’est à Feydeau qu’il en fait l’aveu, dans une lettre où, malgré son accablement, perce néanmoins l’inébranlable volonté de vaincre son découragement :

« Depuis six semaines, je recule comme un lâche devant Carthage. J’accumule notes sur notes, livres sur livres, car je ne me sens pas en train. Je ne vois pas nettement mon objectif. Pour qu’un livre sue la vérité, il faut être bourré de son sujet par-dessus les oreilles. Alors la couleur vient tout naturellement, comme un résultat fatal et comme une floraison de l’idée même.

« Actuellement, je suis perdu dans Pline, que je relis pour la seconde fois de ma vie d’un bout à l’autre. (J’ai encore diverses recherches à faire dans Athénée et dans Xénophon ; de plus, cinq ou six mémoires dans l’Académie des inscriptions. Et puis, ma foi, je crois que ce sera tout ! Alors je ruminerai mon plan, qui est fait, et je m’y mettrai ! Et les affres de la phrase commenceront, les supplices de l’assonance, les tortures de la période ! Je suerai et me retournerai (comme Guatimozin) sur mes métaphores.

« Les métaphores m’inquiètent peu, à vrai dire (il n’y en aura que trop), mais ce qui me turlupine, c’est le côté psychologique de mon histoire… Je ne te montrerai rien de Carthage avant que la dernière ligne n’en soit écrite, parce que j’ai bien assez de mes doutes sans avoir par-dessus ceux que tu me donnerais. Tes observations me feraient perdre la boule. Quant à l’archéologie, elle sera « probable ». Voilà tout. Pourvu que l’on ne puisse pas me prouver que j’ai dit des absurdités, c’est tout ce que je demande. Pour ce qui est de la botanique, je m’en moque complètement. J’ai vu de mes propres yeux toutes les plantes et tous les arbres dont j’ai besoin ». (Voir Correspondance, III, p. 144 et 151.)

Au mois de novembre 1857, le premier chapitre de Carthage est achevé, mais ce premier effort n’aura été qu’une préparation à un effort plus grand ; l’effet rêvé n’est pas atteint, la psychologie des personnages est incomplète, et craignant de ne pas donner à ses paysages leur couleur exacte, Flaubert décide de partir pour Carthage. Très courageusement il écrit à Mme Leroyer de