Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/113

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d’aigreur ; elle aurait fini comme de coutume, entre M. David et son ami par quelques vives boutades, si nous n’en avions été distraits ; le mousse venant annoncer le dîner.

M. David s’approcha alors de moi et me dit : — Maintenant, mademoiselle, je ne plaisante plus ; je vous engage à étudier cet homme. Je vais le placer à côté de vous : surmontez un peu vos répugnances. Je crois que pour un voyageur cette rencontre est une bonne fortune.

Pendant le premier service, l’ancien séminariste mangea et but ; son avidité était telle qu’elle ne lui laissa pas le temps de prononcer une parole : toutes les facultés de son être étaient absorbées par son assiette et son verre. Je ne mangeais jamais du premier service, j’avais ainsi tout loisir pour examiner cet homme remarquable, dans son genre, comme le disait M. David. Je pus saisir à l’expression de ses traits la passion dominante chez lui ; c’était la gourmandise. Comme ses petits yeux brillaient à la vue de l’énorme gigot et des autres pièces de viande qu’on nous servit ! Ses narines s’ouvraient ; il passait sa langue sur ses lèvres minces et pâles ; la sueur courait sur son front ; il paraissait être dans un de ces moments où la jouissance, que nous ne