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Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/40

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de Berri parcourait la Vendée : trois fois on m’arrêta ; mes yeux et mes longs cheveux noirs, qui ne pouvaient être dans le signalement de la duchesse, me servirent de passeport et me sauvèrent de toute méprise. La douleur, jointe aux fatigues, épuisa mes forces ; arrivée à Angoulême, je tombai dangereusement malade.

Dieu me fit rencontrer dans cette ville un ange de vertu qui me donna la possibilité d’exécuter le projet que, depuis deux ans, je méditais, et que m’empêchait de réaliser mon affection pour ma fille. On m’avait indiqué la pension de mademoiselle de Bourzac comme la meilleure pour y placer mon enfant. Au premier abord, cette excellente personne lut dans la tristesse de mes regards l’intensité de mes douleurs. Elle prit ma fille sans me faire une question et me dit : — Vous pouvez partir sans nulle inquiétude : pendant votre absence je lui servirai de mère, et si le malheur voulait qu’elle ne vous revît jamais, elle resterait avec nous. Lorsque j’eus acquis la certitude d’être remplacée auprès de ma fille, je résolus d’aller au Pérou prendre refuge au sein de ma famille paternelle, dans l’espoir de trouver là une position qui me fît rentrer dans la société.

Vers la fin de janvier 1833, je me rendis à Bordeaux et me présentai chez M. de Goyenèche, avec lequel j’étais en correspondance. M. de Goyenèche (Mariano) est cousin de mon père ; nés tous deux à Aréquipa, une amitié d’enfance les avait liés d’une manière intime. À ma vue, M. de Goyenèche fut frappé de l’extrême ressemblance de mes traits avec ceux de mon père ; ils lui rappelaient son ancien ami, et à ce souvenir se rattachaient pour lui ceux de sa jeunesse, de sa famille, enfin de son pays, qu’il regrette sans cesse. Il reporta aussitôt sur moi une