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Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/91

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rement perdu de vue ce que ma position pouvait avoir d’extraordinaire aux yeux de M. Chabrié. Mon état de souffrance m’avait empêchée d’y penser ; j’attribuais à la bonté naturelle de notre capitaine les complaisances qu’il avait pour moi, les attentions dont il m’environnait ; je n’avais jamais songé qu’il pût éprouver un autre sentiment que celui de l’affection compatissante, que ma position inspirait généralement.

Aux êtres doués d’une ame aimante, dont l’organisation est à la fois délicate et magnétique, il suffit d’un seul regard pour leur faire pénétrer le secret de l’individu auquel ils parlent. Le regard de M. Chabrié me laissa lire clairement sa pensée ; il lut aussi la mienne. Je lui serrai la main ; il me dit alors avec un accent de profonde tristesse :

– Mademoiselle Flora, je n’espère pas me faire aimer de vous. Je demande seulement à vous aider à supporter vos chagrins. Je le remerciai par un sourire, et lui montrant la mer : Mon cœur, lui dis-je, ressemble à cet Océan ; le malheur y a creusé de profonds abîmes ; il n’est pas de pouvoir humain qui puisse les combler.

– Accordez-vous donc plus de puissance au malheur qu’à l’amour ?…