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Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/93

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l’ennui, que son parler anglais et ses musiciens me donnaient. Nous restâmes très tard à causer sur le pont : les nuits des tropiques sont si belles !

Le lendemain matin M. David et M. Miota quittèrent le bord avec le projet de faire une petite incursion dans l’intérieur de l’île. Ils allaient chez un Français qui cultivait un champ à dix-huit lieues de la ville, autant dans le dessein de lui acheter des provisions que pour voir le pays.

Deux jours se passèrent pendant lesquels il me parut que M. Chabrié éprouvait de l’embarras avec moi : son air contraint, qui n’était pas dans ses habitudes, me gênait ; il augmentait encore les inquiétudes et la tristesse des pensées que la conversation du rocher avait fait naître en moi.

À cette époque, j’étais encore sous l’influence de toutes les illusions d’une jeune fille qui a peu connu le monde, quoique j’eusse déjà éprouvé les plus cruelles peines ; mais, élevée au milieu des champs, dans le plus complet isolement de la société, ayant vécu depuis dans la retraite, j’avais traversé dix ans de malheurs et de déceptions sans devenir plus clairvoyante. Je croyais toujours à la bienveillance, à la bonne foi ; je supposais que la méchanceté et la perfidie ne se