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mon oncle   : il n’y avait pas de lumière, afin de ne pas attirer l’attention des passants ; nous n’avions que la lueur des cigares que les fumeurs, ce soir-là, tinrent constamment allumés dans leur bouche ; c’était une scène digne du pinceau de Rembrandt. On apercevait, à travers les épais nuages de fumée qui remplissaient la chambre, les faces larges et stupides de quatre moines de l’ordre de Santo-Domingo, avec leurs longues robes blanches, leurs gros rosaires à grains noirs, leurs gros souliers à boucles d’argent ; d’une main, faisant tomber la cendre de leur cigare ; de l’autre, jouant avec leur discipline. Sur le côté opposé, les figures pâles et amaigries des trois pauvres millionnaires, que le lecteur connaît déjà ; des señores Juan de Goyenèche, Gamio, Ugarte ; une douzaine d’autres personnes se trouvaient encore là. Ma tante était assise dans le coin d’un des sophas, les mains jointes, priant pour les trépassés des deux partis. Quant à mon oncle, il allait et venait d’un bout de la pièce à l’autre, parlant, gesticulant d’une manière brusque et animée. Moi j’étais assise sur le rebord de la croisée, enveloppée dans mon manteau. Je jouissais du double spectacle qu’offraient la rue et le