Page:Florian - Fables, illustrations Adam, 1838.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XVIII
essai

charme à lire La Fontaine, d’où vient l’illusion que nous cause cet inimitable écrivain. « Non-seulement, dit M. Marmontel, La Fontaine a ouï dire ce qu’il raconte, mais il l’a vu, il croit le voir encore. Ce n’est pas un poëte qui imagine, ce n’est pas un conteur qui plaisante ; c’est un témoin présent à l’action, et qui veut vous y rendre présent vous-même. Son érudition, son éloquence, sa philosophie, sa politique, tout ce qu’il a d’imagination, de mémoire, de sentiment, il met tout en œuvre, de la meilleure foi du monde, pour vous persuader ; et c’est cet air de bonne foi, c’est le sérieux avec lequel il mêle les plus grandes choses avec les plus petites, c’est l’importance qu’il attache à des jeux d’enfants, c’est l’intérêt qu’il prend pour un lapin et une belette, qui font qu’on est tenté de s’écrier à chaque instant : Le bonhomme !  etc. »

« M. Marmontel a raison ; quand ce mot est dit, on pardonne tout à l’auteur, on ne s’offense plus des leçons qu’il nous fait, des vérités qu’il nous apprend ; on lui permet de prétendre à nous enseigner la sagesse, prétention que l’on a tant de peine à passer à son égal. Mais un bonhomme n’est plus notre égal ; sa simplicité crédule, qui nous amuse, qui nous fait rire, nous délivre à nos yeux de sa supériorité ; on respire alors, on peut hardiment sentir le plaisir qu’il nous donne, on peut l’admirer et l’aimer sans se compromettre.

« Voilà le grand secret de La Fontaine, secret qui n’était son secret que parce qu’il l’ignorait lui-même.

— Vous me prouvez, lui répondis-je assez tristement, qu’à moins d’être un La Fontaine il ne faut pas faire de fables, et vous sentez que la seule réponse à cette affligeante vérité, c’est de jeter au feu mes apologues. Vous m’en donnez une forte tentation ; et comme, dans les sacrifices un peu pénibles, il faut toujours profiter du moment où l’on se trouve en force, je vais, en rentrant chez moi…