Page:Florian - Oeuvres.djvu/212

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juge du moins qu’ils doivent être peu saillants, par la peine qu’on a de leur trouver même un nom.

On pourrait donc penser qu’il ne reste guère à peindre que des demi-caractères ; encore les modèles en sont-ils rares. C’est dans le monde qu’il faut les chercher ; et j’ai cru remarquer que dans le monde on se ressemble un peu. Le grand précepte, II faut être comme les autres, qui fait la base de nos éducations, met une assez grande conformité dans les mœurs, dans les actions, dans le langage de ceux qui composent la société. Chaque âge, chaque état a ses idées, son ton, ses manières convenues : on les prend sans s’en apercevoir ; on les garde par paresse, souvent par respect humain ; et les formules, les devoirs d’usage, l’obligation de parler lorsqu’on ne voudrait rien dire, l’habitude de traiter comme des amis ceux dont on ne se soucie guère, enfin la monotonie de la politesse, si l’on peut s’exprimer ainsi, éteignent le naturel, et font disparaitre les nuances des caractères. Tout n’en est peut-être que mieux ; et il faut bien que cela soit, puisqu’on a l’air si heureux dans le monde. Je ne prétends point m’ériger en censeur ; je veux dire seulement que j’ai trouvé un peu de ressemblance entre ce monde bruyant et le bal de l’Opéra. C’est assurément un lieu enchanteur : on y fait infiniment d’esprit. on y voit de très-jolis masques ; mais un peintre serait peut— être embarrassé d’y trouver une physionomie.

D’après ces réflexions, bonnes ou mauvaises, et auxquelles je n’attache aucune prétention, j’aurais renoncé à la comédie de caractère, quand bien même j’en aurais eu le talent : car le talent ne suffit pas ; c’est du sujet que dépend le sort d’une pièce. Si cela n’était pas vrai, nos grands hommes n’auraient fait que des chefs-d’œuvre.Peut-être aussi, et je le croirais bien, mon impuissance m’a-t-elle rendu ces raisons meilleures. J’en conviendrai volontiers à chaque bonne comédie de caractère que l’on nous donnera ; mais, en attendant, je croirai qu’à moins de se sentir un talent très-supérieur, on fera mieux de traiter la comédie de sentiment ou la comédie d’intrigue.

Ces deux genres me semblent inépuisables. Avec de l’esprit et de la sensibilité, on trouvera soin eut des intérêts nouveaux, des situations piquantes. Les vices, les travers sont bornés ; mais les passions, et heureusement les vertus, nous offrent un champ immense.

J’entends par la comédie de sentiment celle que la Chaussée fera vivre à jamais, malgré les épigrammes de ses