Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/104

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a fait naître une incomparable puissance de sentiment religieux. La pensée indienne s’est incarnée dans une forme occidentale, comme le vieux dieu juif, pour répandre une loi nouvelle, s’est incarné dans le fils du charpentier. En lui donnant une capacité définitive d’expression et d’expansion, la plastique grecque ne l’a pas faussée. C’est ainsi qu’il faut comprendre cette étrange collaboration de deux cultures si profondément opposées dans leur principe, — l’une qui proclame la gloire du corps et l’autorité de la raison, l’autre qui renonce à la vie physique et se délecte de l’anéantissement de l’intelligence, l’une qui dresse des statues à la louange des athlètes vainqueurs et des belles femmes, l’autre qui vénère l’image d’un moine mendiant.

Les dieux de l’anthropomorphisme grec représentent l’apogée des fonctions organiques, un rythme souverain de la nature. Saisis à ce moment critique, à cette akmè, où l’être dans sa force n’est plus l’éphèbe et n’est pas encore l’homme mûr, fixés pour jamais à cet épanouissement, ils sont l’image la plus exaltante de la vie terrestre, ils rayonnent de puissance et d’harmonie. À égale distance des incertitudes de la jeunesse et des affaissements de la décrépitude, ils perpétuent pour les générations l’instant passager où la beauté de l’homme a quelque chose de vraiment divin. Ce royal équilibre, qui ne s’est pas imposé à une statuaire seulement, mais à toute une humanité, a doté le Bouddha de l’Inde d’une majesté impérissable. Mais