Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/117

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l’art, il est indispensable de se rappeler que la Chine n’est pas une, mais double, et que la Chine du sud[1], le pays du Fleuve Bleu, est profondément distincte de la Chine du nord, le pays du Fleuve Jaune. La Chine du sud, impénétrablement forestière et marécageuse aux hautes époques, abritait dans ses montagnes une race indépendante, contemplative et mélancolique, dont les gentilshommes Tcheou tournaient en dérision les manières rustiques et le rude parler. Mais les paysages pittoresques, verdoyants et brumeux du Yang-tseu-kyang avaient formé et allaient inspirer la sensibilité de ces montagnards. C’est là que l’Ovide chinois, Khyu Yuen, banni par son prince, le roi de Tchhou, exhala, dans des élégies d’un accent plus profond et plus poignant que les vers élégants du poète latin, la tristesse passionnée d’une grande âme, ivre de regrets, de nature, de solitude et de liberté.

Lao-tseu est un inspiré des mêmes lieux. Pour comprendre sa pensée il faut écarter un réseau de croyances animistes et de vieux rites populaires, où la magie joue un grand rôle et qui défigurent aujourd’hui la religion taoïste[2]. Elle est avant tout fondée sur l’individualisme, elle limite, elle réduit au minimum les droits de l’état. Elle impose une morale ascétique,

  1. Je désigne sous ce nom la région que les historiens chinois appellent ainsi, en réalité l’actuelle Chine centrale. D’autre part, il y a lieu de retenir que les termes : peinture du sud, peinture du nord, ont fini par s’appliquer à des manières plutôt qu’à des écoles proprement dites.
  2. On donne le nom de Tao à la doctrine de Lao-tseu.