Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/175

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

âme avec l’essence des choses. Ils sentent avec profondeur la beauté fugitive d’une fleur ou d’un ciel, et, ce qui est plus difficile à comprendre pour un homme d’Occident, la majesté, la puissance, l’intensité expressive de la nature, fortement accusées dans un caillou ridé par les eaux. Nous pourrions être tentés de croire qu’ils ont une prédilection pour les hasards pittoresques, pour les accidents énigmatiques qui semblent le résultat de quelque obscure fantaisie, ou encore pour les diminutifs de la nature, qui ajoutent à sa poésie une sorte de monstruosité rare. Mais non. Toute apparence est suggestive de vie. La réalité concrète n’est pas une boue grossière, une épaisse et méprisable gangue où sommeille l’esprit captif, comme nous l’ont enseigné les formes les moins élevées du spiritualisme occidental, — elle est esprit. Ses moindres linéaments tressaillent de vie. Le bloc sculpté par les eaux, façonné par des siècles d’usure et d’intempéries, est aussi ample, aussi riche de sens qu’un beau pan de falaise. Un bouquet noblement composé parle au cœur et à la pensée comme un soir sur un vallon. Les jardins ne sont pas les promenoirs de la sensualité ou la projection des géométries de l’intelligence, mais la suggestion des paysages.

Suggestion, c’est à ce choix et à cette ardeur qu’aboutit en dernière analyse le génie bouddhique, quand, de la rêverie des solitaires et de la contemplation des poètes, il fit sortir une expression d’art ; c’est à une suggestion pure qu’il astreignit l’élégance du pinceau.