Page:Focillon - L’Art bouddhique.djvu/176

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Ne pas montrer, mais suggérer, voilà le secret de l’infinité. L’achèvement, le fini, le fait de tout dire sans rien omettre, c’est la limite et la mort. À des intelligences habituées à penser le tout, une synthèse expressive suffit. Une ligne ample, deux ou trois tons justes, quelques accents nous stimulent excellemment et nous rapprochent de la vie. Une pareille méthode permet de saisir et de dégager avec netteté ce qu’il y a d’individuel et de caractéristique, c’est-à-dire de vivant et de profond, dans chaque aspect de la réalité. Elle n’immobilise pas le passage, le moment des choses, elle les suit du même rythme, elle touche ainsi à leur essence. Fixer, c’est faire mourir ; suggérer, c’est respecter l’élan, le départ, le changement. Dès lors l’intelligence participe à l’activité de l’univers. L’Occident étudie la nature à travers la logique et dans l’état de stabilité : c’est dans la mort qu’il cherche les secrets de l’organisme. Il analyse et il reproduit. Le génie japonais contemple et suggère.

Quelle différence d’autre part entre cette concision exaltante et la terrible loquacité, l’écrasante profusion de l’art hindou ! On sent quelles forces divergentes animent et séparent les deux races, qui spéculent pourtant sur la même pensée. Les grappes de dieux et d’apsaras, sculptées sur les parois des temples, sont pareilles à la floraison fiévreuse qui naît sur un sol mou, un lendemain d’orage. Ici le paysage moral est peuplé d’arbres élégants, durs et droits, les racines plongent au cœur de la terre. Ainsi traité pendant des