Page:Focillon - Vie des formes, 1934.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

mais elle n’en dépend pas d’une manière absolue. La peinture à l’huile peut échapper à l’émulation de l’espace et de la lumière ; la miniature, la fresque, le vitrail même peuvent se construire une fiction de la lumière dans une illusion d’espace. Tenons compte de cette sorte de liberté relative de l’espace à l’égard des matières où il s’incorpore, mais tenons compte aussi de la pureté avec laquelle il prend telle ou telle figure selon telle ou telle matière.

Nous avons eu à nous occuper déjà de l’espace ornemental, lorsque nous évoquions cette importante partie de l’art, qui n’en commande certainement pas toutes les avenues, mais qui a traduit pendant des siècles et dans de nombreux pays la rêverie humaine sur la forme. Il est l’expression la plus caractéristique du haut moyen âge en Occident et comme l’illustration d’une pensée qui renonce au développement pour adopter l’involution, au monde concret pour les caprices du songe, à la série pour l’entrelacs. L’art hellénistique avait ménagé autour de l’homme un espace réduit et juste, urbain ou champêtre, coins de rues et de jardins, « sites » plus ou moins agrestes, riches d’accessoires élégamment combinés pour servir de cadre à des mythes légers, à des épisodes romanesques. Mais progressivement durcis, devenus formes fixes, inaptes à se renouveler, ces accessoires mêmes tendaient à schématiser peu à peu le milieu dont, naguère, ils jalonnaient la topographie. Les pampres et la treille des pastorales chrétiennes dévoraient leur paysage. Ils y faisaient le vide. L’ornement, ressuscité des civilisations primitives, n’avait pas à tenir compte de dimensions d’un milieu décomposé qui ne résistait plus : au surplus, il était à lui-même son milieu et sa dimension. Nous avons tenté de montrer que l’espace de l’entrelacs n’est pas immobile et plat : il se meut, puisque les métamorphoses s’y font sous nos yeux, non par stades séparés, mais dans la continuité complexe des courbes, des spires, des tiges enlacées ; il n’est pas plat, puisque, pareils à un fleuve qui