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M. DE FONTANES

la fenêtre donnait sur les jardins, et la vue libre allait à l’horizon saisir les flèches élancées de l’abbaye de Saint-Denis. En face d’un canapé, seul meuble du gracieux réduit, se trouvait un buste de Vénus : elle était là, l’antique et jeune déesse, pour sourire au nonchalant lecteur quand il posait son Horace au Donec gratus eram, quand il reprenait son Platon entr’ouvert à quelque page du Banquet. Or, une fois par semaine, le dimanche, M. de Fontanes avait à diner l’Université, recteurs, conseillers, professeurs, et il faisait admirer sa vue, il ouvrait sans façon le pudique boudoir. Mais le buste de Vénus ! et dans le cabinet d’un grand-maître ! Quelques-uns, vieux ou jeunes, encore jansénistes ou déjà doctrinaires, se scandalisèrent tout bas, et on le lui redit. De là sa petite ode enchantée :

Loin de nous, Censeur hypocrite[1], etc.


Nous saisissons sur le fait la contradiction naïve chez Fontanes : le lendemain de cette ode toute grecque, il retrouvait les tons chrétiens les plus sérieux, les mieux sentis, en déplorant avec M. de Bonald la Société sans la Religion[2]. On peut le dire, l’épicurien dans le poëte était tout à côté du chrétien, et cela si naturellement, si bonnement ! il y a en lui du La Fontaine. Ce cabinet favori nous représente bien sa double vue d’imagination : tout près le buste de Vénus, là-bas les clochers de Saint-Denis !

Ce parfum de simplicité grecque, cet extrait de grâce antique, qu’on respire dans quelques petites odes de Fontanes, le rapproche-t-il d’André Chénier ? Ce dernier a, certes, plus de puissance et de hardiesse que Fontanes, plus de nouveauté dans son retour vers l’antique ; il sait mieux la Grèce, et il la pratique plus avant dans ses vallons retirés ou sur ses sau-

  1. Voy. tom. I, pag. 145.
  2. Cette belle ode, dans l’intention du poëte, devait être, en effet, dédiée à l’illustre penseur.