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M. DE FONTANES

vages sommets. Mais André Chénier, en sa fréquentation méditée, et jusqu’en sa plus libre et sa plus charmante allure, a du studieux à la fois et de l’étrange ; il sait ce qu’il fait, et il le veut ; son effort d’artiste se marque même dans son triomphe. Au contraire, dans le petit nombre de pièces par lesquelles il rappelle l’idée de la beauté grecque (les Stances à une jeune Anglaise, l’ode à une jeune Beauté, au Buste de Vénus, au Pêcheur), Fontanes n’a pas trace d’effort ni de ressouvenir ; il a, comme dans la Grèce du meilleur temps, l’extrême simplicité de la ligne, l’oubli du tour, quelque chose d’exquis et en même temps infiniment léger dans le parfum. Par ces cinq ou six petites fleurs, il est attique comme sous Xénophon, et pas du tout d’Alexandrie. Si, dans la comparaison avec Chénier à l’endroit de la Grèce, Fontanes n’a que cet avantage, on en remarquera du moins la rare qualité. Il y a pourtant des endroits où il s’essaie directement, lui aussi, à l’imitation de la forme antique : il y réussit dans l’ode au jeune Pâtre et dans quelques autres. Mais les habitudes du style poétique du xviiie et même du xviie siècle, familières à Fontanes, vont mal avec cette tournure hardie, avec ce relief heureux et rajeunissant, ici nécessaire, qu’André Chénier possède si bien et qu’atteignit même Ronsard.

Malgré tout, je veux citer, comme un bel échantillon du succès de Fontanes dans cette inspiration directe et imprévue de l’antique à travers le plein goût de xviiie siècle, la fin d’une ode contre l’Inconstance, qu’une convenance rigoureuse a fait retrancher à sa place dans la série des œuvres. Cette petite pièce est de 89. Le poëte se suppose dans la situation de Jupiter, qui, après maint volage égarement, revient toujours à Junon. En citant, je me place donc avec lui au pied de l’Ida, et le plus que je puis sous le nuage d’Homère :

Que l’homme est faible et volage !
Je promets d’être constant,
Et du nœud qui me rengage
Je m’échappe au même instant !