Page:Fontanes - Œuvres, tome 1.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
5
LA FORÊT DE NAVARRE.

Pourquoi n’êtes-vous plus, rêves attendrissants ?
Dès que l’amour des vers charma mes premiers ans,
J’appris avec transport ceux de l’aimable Ovide,
Poète mensonger dont l’enfance est avide.
Devant le laurier vert tendrement incliné,
Triste, je saluais les mânes de Daphné,
Et, touché de son sort, je passais en silence.
Près de cet arbre en deuil qu’un vent léger balance,
Qui monte en pyramide élancé dans les airs,
Et croit, ami des morts, sur les tombeaux déserts,
Je pleurais le trépas du jeune Cyparisse.
Lorsqu’un chêne m’offrait son ombre protectrice,
Lorsque je reposais sous un tilleul assis,
Nommant avec respect Philémon et Baucis,
Si j’obtiens, me disais-je, une amante fidèle,
Je veux que Philémon soit un jour mon modèle,
Qu’elle imite Baucis ! et, tous deux, puissions-nous
Mourir au même instant comme ces deux époux !
Aujourd’hui, dans les bois, mes pensers plus austères
Savent de la nature observer les mystères ;
Linné m’apprend les mœurs des nombreux végétaux,
Depuis l’arbre qui croît au-dessus des coteaux
Jusqu’à l’herbe rampante où naît, vit et fourmille
D’insectes ignorés une immense famille.
Je connais leurs instincts, leurs haines, leurs amours ;
Je sais tous les canaux où la sève a son cours,
Et par quels sucs féconds la terre maternelle
Entretient des forêts la jeunesse éternelle.
Du sein qui les nourrit elles ont la vigueur ;
Le nord, dans leurs rameaux, souffle en vain sa rigueur ;