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M. DE FONTANES

célestes que la prose, dans sa liberté, n’embrasse déjà qu’avec peine. Comme si ces difficultés ne se marquaient pas assez d’elles-mêmes, le poëte, dans sa marche logique et méthodique, dans sa pénible entrée en matière et jusque dans ce titre d’Essai, n’a rien fait pour les dissimuler. Mais combien ce défaut peu évitable est racheté par des beautés de premier ordre ! et, d’abord, par un style grave, ferme, soutenu, un peu difficile, mais par là même pur de toute cette monnaie poétique effacée du xviiie siècle, par un style de bon aloi, que Despréaux eût contresigné à chaque page, ce qu’il n’eût pas fait toujours, même pour le style de M. de Fontanes. Cette fois, l’auteur, pénétré de la majesté de son sujet, n’a nulle part fléchi ; il est égal par maint détail, et par l’ensemble il est supérieur aux Discours en vers de Voltaire ; il atteint en français, et comme original à son tour, la perfection de Pope en ces matières, concision, énergie :

Vers ces globes lointains qu’observa Cassini,
Mortel, prends ton essor ; monte par la pensée.
Et cherche où du grand tout la borne fut placée.
Laisse après toi Saturne, approche d’Uranus ;
Tu l’as quitté, poursuis : des astres inconnus
À l’aurore, au couchant, partout sèment ta route ;
Qu’à ces immensités, l’immensité s’ajoute.
Vois-tu ces feux lointains ? Ose y voler encor :
Peut-être ici, fermant ce vaste compas d’or
Qui mesurait des cieux les campagnes profondes,
L’éternel Géomètre a terminé les mondes.
Atteins-les : vaine erreur ! Fais un pas ; à l’instant
Un nouveau lieu succède, et l’univers s’étend.
Tu t’avances toujours, toujours il t’environne.
Quoi ? semblable au mortel que sa force abandonne,
Dieu, qui ne cesse point d’agir et d’enfanter,
Eût dit : « Voici la borne où je dois m’arrêter ! »


Cette grave et stricte poésie s’anime heureusement, par places, d’un sentiment humain, qui repose de l’aspect de tant