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ESSAI SUR L’HOMME.

Mais faut-il imputer leur mort à la vertu ?
Accuse-s-en plutôt leur mépris de la vie.
Ô toi ! dont l’amitié me fut trop tôt ravie,
Cher Digby, dont mes pleurs arrosent le cercueil,
Héros, dont le trépas mit l’Angleterre en deuil,
Pourquoi, si la vertu trancha tes destinées,
Ton père vivrait-il plein de gloire et d’années ?
Pourquoi, près des mourants qui lui tendaient les bras,
Le vertueux Belzunce, entouré du trépas,
Ne respira-t-il point la vapeur empestée
Que les vents secouaient sur Marseille infectée ?
Et par quelle faveur ce Ciel trop indulgent,
Propice aux vœux d’un fils, à ceux de l’indigent,
Ajoute-t-il des jours aux longs jours de ma mère,
S’il faut appeler longue une vie éphémère ?

 Qu’est-ce qu’un mal physique ? un désordre apparent
Des lois dont l’univers suit toujours le torrent.
Qu’est-ce qu’un mal moral ? c’est l’homme qui s’égare.

 Dieu n’a point fait le mal, sa bonté le répare ;
L’homme fut créé libre, il a tout perverti :
C’est du cœur du méchant que le mal est sorti.
Le vertueux Abel meurt frappé par son frère ;
Un fils sage est puni des vices de son père :
Eh bien ! faut-il que Dieu, tel que de faibles rois,
Pour quelques favoris interrompe ses lois ?

 Quoi ? l’Etna, pour un sage, oubliant son tonnerre.
Rappellera ses feux échappés de la terre ?