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Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/279

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ŒUVRES DE FONTANES.

Tandis qu’avec respect, sur le marbre inclinés,
Et plus près de l’autel quelques-uns prosternés,
Touchaient l’humble pavé de leur tête guerrière,
Et leurs cheveux blanchis roulaient sur la poussière.
Le Czar avec respect les contemple longtemps :
« Que j’aime à voir, dit-il, ces braves combattants !
« Ces bras victorieux, glacés par les années,
« Quarante ans de l’Europe ont fait les destinées.
« Restes encor fameux de tant de bataillons,
« De la foudre sur vous j’aperçois les sillons.
« Que vous me semblez grands ! Le sceau de la victoire
« Sur vos ruines même imprime encor la gloire…
« Je lis tous vos exploits sur vos fronts révérés :
« Temples de la Valeur, vos débris sont sacrés. »
Le prêtre cependant, au pied du sanctuaire,
A des pieux soldats consacré la prière :
Ces illustres blessés, ces vieillards chancelants,
Hors des sacrés parvis s’avancent à pas lents.
Bientôt ils vont s’asseoir dans une enceinte immense,
Où d’un repas guerrier la frugale abondance,
Aux dépens de l’État, satisfait leur besoin :
Pierre de leur repas veut être le témoin.
Avec eux dans la foule il aime à se confondre,
Les suit, les interroge, et, fiers de lui répondre,
De conter leurs exploits, ces antiques soldats
Semblent se rajeunir au récit des combats.
Son belliqueux accent émeut leur fier courage :
« Compagnons, leur dit-il, je viens vous rendre hommage
« Ah ! parlez : qui de vous, au milieu des hasards,
« A de ce grand Condé suivi les étendards ?
« Je brûle de vous voir. » Cent guerriers se levèrent :
D’une commune voix cent guerriers s’écrièrent :
« Nous voici ! » Distingué par des accents plus fiers,
L’un d’eux portait le poids de quatre-vingts hivers,
Et relevait encor sa tête avec noblesse :
« De ce héros, dit-il, moi, j’ai vu la jeunesse :
« Je combattais sous lui dans les champs de Rocroi :
« Son regard dans la foule est descendu sur moi.
« J’ai compté soixante ans depuis cette victoire :