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PRÉLIMINAIRE.

la Nature sur la Mort, la peinture énergique de l’amour et celle de la peste. Ces morceaux, qui sont les plus cités, ne peuvent donner une idée de tout son talent. Qu’on lise son cinquième chant sur la formation de la société, et qu’on juge si la poésie offrit jamais un plus riche tableau. M. de Buffon en développe un semblable dans la septième des Époques de la nature. Le physicien et le poëte sont dignes d’être comparés : l’un et l’autre remontent au-delà de toutes les traditions ; et, malgré ces fables universelles, dont l’obscurité cache le berceau du monde, ils cherchent l’origine de nos arts, de nos religions et de nos lois : ils écrivent l’histoire du genre humain avant que la mémoire en ait conservé des monuments : des analogies, des vraisemblances les guident dans ces ténèbres ; mais on s’instruit plus en conjecturant avec eux, qu’en parcourant les annales des nations. Le temps, dans ses vicissitudes connues, ne montre point de plus magnifiques spectacles que ce temps inconnu dont leur seule imagination a créé tous les événements.

J’oublie trop longtemps que je dois comparer Lucrèce à Pope : cette comparaison est difficile. Le genre des épitres de Pope admet tous les tons : le ton de Lucrèce est toujours élevé. L’un converse de philosophie avec son ami ; l’autre interrompt souvent la méthode didactique pour s’abandonner à son enthousiasme. La profondeur, la marche, l’enchainement des idées, l’utilité du système, voilà le mérite de Pope : il manque presque totalement à Lucrèce ;