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PRÉLIMINAIRE.

mêlé plus souvent à l’éclat de ses images, quelques teintes de cette mélancolie qui nous attache aux poésies anglaises ; mais ses projets et son caractère le portaient vers d’autres beautés : il voulait surtout être le philosophe des gens du monde, qu’il ne fallait pas effaroucher par trop de vigueur dans les idées, et trop de hardiesse dans l’expression. Sa sensibilité, plus vive que douce, qui se passionnait rapidement pour tous les objets, s’alliait peu à la mélancolie, qui se recueille dans elle-même, et se plait à reposer sur les mêmes impressions. Voltaire, en général, n’est pas le poëte de l’homme solitaire ; il veut être lu dans le fracas des grandes villes, dans la pompe des cours, au milieu de toutes les décorations de la société perfectionnée et corrompue[1]. Ne voyez-vous pas comme il court sur les objets, comme il craint de lasser l’attention ? Cette rapidité entraînante est un des plus grands charmes qui ramènent toujours à ses ouvrages : elle fait pardonner ses négligences, attribut nécessaire d’un génie impétueux et facile qui précipite sa marche, et ne regarde point derrière lui. Ceux qui les condamnent, en vantant la perfection de Racine, devraient plutôt jouir de la variété qui les distingue tous deux, et songer que les plus grandes qualités sont voisines de quelques défauts.

Parlerai-je du poëme sur la Loi naturelle, après

  1. Il n’est pas inutile d’avertir qu’on ne saisit que les principaux traits de son génie, sans s’arrêter à un petit nombre d’exceptions.