Aller au contenu

Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/51

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
ŒUVRES DE FONTANES.

Pour quel but, entrainé par d’aveugles désirs,
Il les suit tour à tour, tour à tour il les brave,
Tantôt s’élève en dieu, tantôt rampe en esclave.

 L’homme de ses défauts doit absoudre le Ciel ;
Il est aussi parfait que peut l’être un mortel ;
À son rang, à sa fin, sa force est mesurée ;
Un point est son espace, un moment sa durée.
Si tu dois être heureux dans quelque autre séjour,
Que t’importe le lieu ? que t’importe le jour ?
L’homme, heureux d’aujourd’hui, l’est depuis mille années.

 Le grand livre du Ciel contient nos destinées ;
Mais il ne montre aux yeux qu’un instant qui s’enfuit ;
Chacun y lit sa page, et non celle qui suit.
L’homme sait moins que l’ange, et sait plus que la bête.
Hélas ! s’il prévoyait son trépas qui s’apprête,
Cet innocent agneau que tu vas dévorer,
Sur l’herbe, autour de toi, viendrait-il folâtrer ?
Tranquille, et de sa mère oubliant la mamelle,
Il broute un vert gazon, il bondit auprès d’elle ;
Et quand ton bras levé tient le fer inhumain,
Il accourt à ta voix, et caresse ta main.
Trop heureuse ignorance ! Ô faveur la plus chère
De ce Dieu juste et bon qui de tous est le père,
Pour qui tous sont égaux, et dont l’œil voit en paix
Mourir le ver sous l’herbe, ou le roi sous le dais ;
Une bulle crever sur les rides de l’onde,
Ou crouler à grand bruit la machine du monde !