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ESSAI SUR L’HOMME.


 Eh bien ! puisqu’à tes yeux le grand livre est scellé,
Attends que par la mort il te soit révélé.
La mort vient de la vie expliquer le mystère.
Si Dieu voila ton sort d’une ombre salutaire,
Ici-bas l’espérance est pour toi le bonheur ;
C’est un germe immortel qui fleurit dans ton cœur.
Tu n’es jamais heureux, et tu dois toujours l’être ;
L’âme inquiète, ardente, avide de connaître,
S’étend et se repose en de vastes lointains.

 Partout de l’avenir l’homme attend ses destins :
Regarde l’Indien sur sa natte sauvage,
Il voit Dieu dans la nue, et l’entend dans l’orage ;
Il n’a point dans les airs suivi ton vol savant,
Mais du moins il espère ; il se peint, en rêvant,
Par delà de grands monts une forêt paisible,
Au sein des vastes mers une île inaccessible,
Un ciel fait pour ses mœurs, où, brisant ses liens,
Loin des cruels démons, loin surtout des chrétiens,
Il ira, libre enfin des maux de l’esclavage,
De son pays natal revoir la douce image.
Le bonheur d’exister suffit seul à ses vœux.
Jamais des Séraphins il n’envia les feux,
N i le vol de l’Archange aux six ailes légères :
Plus modeste, et bercé d’innocent es chimères,
Il désire, en mourant, qu’au séjour de la paix
Son chien, fidèle ami, l’accompagne à jamais.

 Toi, qui te crois plus sage, ose, dans ta balance,
Peser insolemment l’homme et la Providence !