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Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/54

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ESSAI SUR L’HOMME.

« Par le cours de ses lois est alors entraînée ;
« Hors le Dieu qui fit tout, il n’est rien de constant,
« Il n’est rien de parfait. » Tu veux l’être pourtant !
Tu dis que ton bonheur est sa fin nécessaire ;
Souvent à cette fin la nature est contraire.
Ici tout est changeant : voudrais-tu que ton cœur
Pût méconnaître seul l’inconstance et l’erreur ?
Des mobiles saisons tes désirs sont l’image ;
Un jour serein commence ; il finit par l’orage.
Le temps fuit, et ramène en ses jeux éternels
Les pestes, les beaux jours, les Titus, les Cromwelis ;
Ainsi que les volcans, les Nérons doivent naître.

 Si des événements le Moteur et le Maitre
Suit l’ordre accoutumé, quand du plus haut des airs
Il fait partir l’orage et soulève les mers,
Interrompt-il ses lois quand, sur l’Asie en cendre,
Pour châtier le monde, il déchaîne Alexandre ?
Tes folles passions, dans leurs emportements,
Se font la guerre aussi comme les éléments.
Vois du même œil au moins et l’homme et la nature.
Tes doubles jugements flottent à l’aventure ;
Tu condamnes le Ciel, tu l’absous à ton choix :
Rougis, et sans murmure obéis à ses lois.

 Tu voudrais que le ciel fût toujours sans orages,
Et l’homme sans défauts, et la mer sans naufrages :
Insensé ! soumets-toi : ce désordre apparent
Cache un ordre réel à ton œil ignorant ;
Bénis les passions, éléments de la vie.