Page:Fontanes - Œuvres, tome 2.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
67
ESSAI SUR L’HOMME.

Dans lui-même enfermé, craignant d’être sensible,
Tente avec la nature une lutte impossible.
Vide de sentiments, notre âme se flétrit ;
Trop de repos l’éteint, l’action la nourrit.
Sur la mer de la vie exerçant son courage,
L’âme se développe au milieu de l’orage :
Toutefois quand les flots bouillonnent à grand bruit,
La raison, l’œil au ciel, doit veiller dans la nuit,
Et suivre, en nous guidant sous d’heureuses étoiles,
Le vent des passions qui frémit dans nos voiles.
Le pilote aime mieux de turbulentes eaux,
Qu’une mer immobile où dorment ses vaisseaux.
Dieu lui-même, sortant de sa paix éternelle,
Tonne dans le nuage où la foudre étincelle,
Monte sur la tempête, et marche sur les mers.

 Comme tu vois le feu, l’eau, la terre et les airs,
Former, par leurs combats, l’équilibre du Monde,
Ainsi des passions la discorde est féconde.
Ces éléments du cœur, pouvons-nous les changer ?
Ne les détruisons pas, sachons les diriger ;
Qu’au sage plan d’un Dieu la raison soit fidèle,
Et règle seulement leur fougue naturelle.

 L’espérance, l’amour, la gaité, le désir,
Ce cortège riant de l’aimable plaisir,
L’ennui, l’effroi, le deuil, compagnons de la peine,
Tous ces penchants rivaux unis malgré leur haine,
Font de leurs traits divers un tout harmonieux,
Et, comme sous la main d’un peintre ingénieux,