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GUILLAUME DE CABESTAN.

Quand on est fou, il faut l’être entièrement, et ne cesser jamais de l’être. Ces alternatives de raison et de folie n’appartiennent qu’à ces petits fous qui ne le sont que par accident, et dont le nombre n’est nullement considérable. Mais voyez ceux que la nature produit tous les jours dans son cours ordinaire, et dont tout le monde est peuplé ; ils sont toujours également fous, et ils ne se guérissent jamais.

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

Pour moi, je me serais figuré que le moins qu’on pouvait être fou, c’était toujours le mieux.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Ah ! vous ne savez donc pas à quoi sert la folie ? Elle sert à empêcher qu’on ne se connaisse : car la vue de soi-même est bien triste, et comme il n’est jamais temps de se connaître, il ne faut pas que la folie abandonne les hommes un seul moment.

ALBERT-FRÉDÉRIC DE BRANDEBOURG.

Vous avez beau dire, vous ne me persuaderez point qu’il y ait d’autres fous que ceux qui le sont comme nous l’avons été tous deux. Tout le reste des hommes a de la raison ; autrement ce ne serait rien perdre que de perdre l’esprit, et on ne distinguerait point les frénétiques d’avec les gens de bon sens.

GUILLAUME DE CABESTAN.

Les frénétiques sont seulement des fous d’un autre genre. Les folies de tous les hommes étant de même nature, elles se sont si aisément ajustées ensemble, qu’elles ont servi à faire les plus forts liens de la société humaine ; témoin ce désir d’immortalité, cette fausse gloire ; et beaucoup d’autres principes, sur quoi roule