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Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome III, 1825.djvu/453

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qu’une certaine pucelle sauva la France. C’est donc vous qui étiez cette pucelle là ? Et comment étiez-vous en même temps maîtresse du roi ?

AGNÈS SOREL.

Vous vous trompez : je n’ai rien de commun avec la pucelle dont on vous a parlé. Le roi, dont j’étais aimée, voulait abandonner son royaume aux usurpateurs étrangers, et s’aller cacher dans un pays de montagnes, où je n’eusse pas été trop aise de le suivre. Je m’avisai d’un stratagème pour le détourner de ce dessein. Je fis venir un astrologue, avec qui je m’entendais secrètement ; et après qu’il eût fait semblant de bien étudier ma nativité, il me dit un jour, en présence de Charles VII, que tous les astres étaient trompeurs, ou que j’inspirerais une longue passion à un grand roi. Aussitôt je dis à Charles : « Vous ne trouverez donc pas mauvais, Sire, que je passe à la cour d’Angleterre : car vous ne voulez plus être roi ; et il n’y a pas assez de temps que vous m’aimez pour avoir rempli ma destinée. » La crainte qu’il eut de me perdre lui fit prendre la résolution d’être roi de France, et il commença dès lors à se rétablir. Voyez combien la France est obligée à l’amour, et combien ce royaume doit être galant, quand ce ne serait que par reconnaissance.

ROXELANE.

Il est vrai ; mais j’en reviens à ma pucelle. Qu’a-t-elle donc fait ? L’histoire se serait-elle assez trompée, pour attribuer à une jeune paysanne, pucelle, ce qui appartenait à une dame de la cour, maîtresse du roi.

AGNÈS SOREL.

Quand l’histoire se serait trompée jusqu’à ce point,