Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/245

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détail de critique; je veux seulement faire voir que puisque les anciens ont pu parvenir sur de certaines choses à la dernière perfection, et n’y pas parvenir, on doit, en examinant s’ils y sont parvenus, ne conserver aucun respect pour leurs grands noms, n’avoir aucune indulgence pour leurs fautes, les traiter enfin comme des modernes. Il faut être capable de dire ou d’entendre dire sans adoucissement, qu’il y a une impertinence dans Homère ou dans Pindare, il faut avoir la hardiesse de croire que des yeux mortels peuvent apercevoir des défauts dans ces grands génies, il faut pouvoir digérer que l’on compare Démosthène et Cicéron à un homme qui aura un nom français, et peut-être bas; grand et prodigieux effort de raison!

Sur cela, je ne puis m’empêcher de rire de la bizarrerie des hommes. Préjugé pour préjugé, il serait plus raisonnable d’en prendre à l’avantage des modernes, qu’à l’avantage des anciens.

Les modernes sont les modernes et naturellement ils ont dû enchérir sur les anciens, cette prévention favorable pour eux aurait un fondement. Quels sont au contraire les fondements de celle où l’on est pour les anciens? Leurs noms qui sonnent mieux dans nos oreilles, parce qu’ils sont grecs ou latins; la réputation qu’ils ont eue d’être les premiers hommes de leur siècle, ce qui n’était vrai que pour leur siècle; le nombre de leurs admirateurs qui est fort grand, parce qu’il a eu le loisir de grossir pendant une longue suite d’années. Il vaudrait encore mieux que nous fussions prévenus pour les modernes; mais les hommes non contents d’abandonner la raison pour les préjuges, vont quelquefois choisir ceux qui sont les plus déraisonnables.