Page:Fontenelle - Œuvres de Fontenelle, Tome IV, 1825.djvu/7

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DÉMÉTRIUS.

Selon vous, rien ne serait en sûreté. Je ne sais si les hommes mêmes y seraient.

HÉROSTRATE.

La vanité se joue de leurs vies, ainsi que de tout le reste. Un père laisse le plus d’enfans qu’il peut, afin de perpétuer son nom. Un conquérant, afin de perpétuer le sien, extermine le plus d’hommes qu’il lui est possible.

DÉMÉTRIUS.

Je ne m’étonne pas que vous employez toutes sortes de raisons pour soutenir le parti des destructeurs : mais enfin, si c’est un moyen d’établir sa gloire, que d’abattre les monumens de la gloire d’autrui, du moins il n’y a pas de moyen moins noble que celui-là.

HÉROSTRATE.

Je ne sais s’il est moins noble que les autres ; mais je sais qu’il est nécessaire qu’il se trouve des gens qui le prennent.

DÉMÉTRIUS.

Nécessaire !

HÉROSTRATE.

Assurément. La terre ressemble à de grandes tablettes où chacun veut écrire son nom. Quand ces tablettes sont pleines, il faut bien effacer les noms qui y sont déjà écrits, pour y en mettre de nouveaux. Que serait-ce, si tous les monumeus des anciens subsistaient ? les modernes n’auraient pas où placer les leurs. Pouviez-vous espérer que trois cent soixante statues fussent long-temps sur pied ? Ne voyez-vous pas bien que votre gloire tenait trop de place ?