Page:Fontenelle - Entretiens sur la pluralité des mondes, Leroy, 1820.djvu/60

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autant de fioles pleines d’une liqueur fort subtile, et qui s’évapore aisément, si elle n’est enfermée ; et sur chacune de ces fioles est écrit le nom de celui à qui l’esprit appartient. Je crois que l’Arioste les met toutes en un tas, mais j’aime mieux me figurer qu’elles sont rangées bien proprement dans de longues galeries. Astolfe fut fort étonné de voir que les fioles de beaucoup de gens qu’il avoit crus très sages, étoient pourtant bien pleines ; et pour moi je suis persuadé que la mienne s’est remplie considérablement depuis que je vous entretiens de visions, tantôt philosophiques, tantôt poétiques. Mais ce qui me console, c’est qu’il n’est pas possible que, par tout ce que je vous dis, je ne vous fasse avoir bientôt aussi une petite fiole dans la lune. Le bon Paladin ne manqua pas de trouver la sienne parmi tant d’autres. Il s’en saisit avec la permission de St. Jean, et reprit tout son esprit par le nez comme de l’eau de la reine de Hongrie ; mais l’Arioste dit qu’il ne le porta pas bien loin, et qu’il le laissa retourner dans la Lune par une folie qu’il fit à quelque temps de là. Il n’oublia pas la fiole de Roland, qui étoit le sujet du voyage. Il eut assez de peine à la porter ; car l’esprit de ce héros étoit de sa nature assez pesant, et il n’y en manquoit pas une seule goutte. Ensuite, l’Arioste, selon sa louable coutume de dire tout ce qu’il