Page:Fontenelle - Entretiens sur la pluralité des mondes, Leroy, 1820.djvu/61

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lui plaît, apostrophe sa maîtresse, et lui dit en de fort beaux vers : Qui montera aux cieux ma belle, pour en rapporter l’esprit que vos charmes m’ont fait perdre ? Je ne me plaindrois pas de cette perte-là, pourvu qu’elle n’allât pas plus loin ; mais s’il faut que la chose continue comme elle a commencé, je n’ai qu’à m’attendre à devenir tel que j’ai décrit Roland. Je ne crois pourtant pas que pour ravoir mon esprit, il soit besoin que j’aille par les airs, jusque dans la lune ; mon esprit ne loge pas si haut ; il va errant sur vos yeux, sur votre bouche, et si vous voulez bien que je m’en ressaisisse, permettez que je le recueille avec mes lèvres. Cela n’est-il pas joli ? Pour moi, à raisonner comme l’Arioste, je serois d’avis qu’on ne perdît jamais l’esprit que par l’amour ; car vous voyez qu’il ne va pas bien loin, et qu’il ne faut que des lèvres qui sachent le recouvrer ; mais quand on le perd par d’autres voies, comme nous le perdons, par exemple, à philosopher présentement, il va droit dans la lune, et on ne le rattrape pas quand on veut. En récompense, répondit la Marquise, nos fioles seront honorablement dans le quartier des fioles philosophiques ; au lieu que nos esprits iroient peut-être errants sur quelqu’un qui n’en seroit pas digne. Mais, pour achever de m’ôter le mien, dites-moi, et dites-moi bien sérieusement, si