Page:Fontenelle - Entretiens sur la pluralité des mondes, Leroy, 1820.djvu/63

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et des vues si longues, tant de science sur des choses presque inutiles, et tant d’ignorance sur les plus importantes ; tant d’ardeur pour la liberté, et tant d’inclination à la servitude ; une si forte envie d’être heureux, et une si grande incapacité de l’être ? Il faudroit que les gens de la lune eussent bien de l’esprit, s’ils devinoient tout cela. Nous nous voyons incessamment nous mêmes, et nous en sommes encore à deviner comment nous sommes faits. On a été réduit à dire que les dieux étoient ivres de nectar lorsqu’ils firent les hommes, et que, quand ils vinrent à regarder leur ouvrage de sang-froid, ils ne purent s’empêcher d’en rire. Nous voilà donc bien en sûreté du côté des gens de la lune, dit la Marquise, ils ne nous devineront pas ; mais je voudrois que nous les pussions deviner ; car en vérité cela inquiète, de savoir qu’ils sont là-haut, dans cette lune que nous voyons, et de ne pouvoir pas se figurer comment ils sont faits. Et pourquoi, répondis-je, n’avez-vous point d’inquiétude sur les habitants de cette grande terre australe qui nous est encore entièrement inconnue ? Nous sommes portés, eux et nous, sur un même vaisseau, dont ils occupent la proue et nous la poupe. Vous voyez que de la poupe à la proue il n’y a aucune communication, et qu’à un bout du navire on ne sait point quelles gens sont à