Page:Fontenelle - Entretiens sur la pluralité des mondes, Leroy, 1820.djvu/88

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ne le fussent point du tout ; car ne croyez pas que nous voyions tout ce qui habite la terre ; il y a autant d’espèces d’animaux invisibles que de visibles. Nous voyons depuis l’éléphant jusqu’au ciron, là finit notre vue ; mais au ciron commence une multitude infinie d’animaux, dont il est l’éléphant, et que nos yeux ne sauroient apercevoir sans secours. On a vu avec des lunettes de très petites gouttes d’eau de pluie, ou de vinaigre, ou d’autres liqueurs, remplies de petits poissons ou de petits serpens que l’on n’auroit jamais soupçonnés d’y habiter, et quelques philosophes croient que le goût qu’elles font sentir sont les piqûres que ces petits animaux font à la langue. Mêlez de certaines choses dans quelques-unes de ces liqueurs, ou exposez-les au soleil, ou laissez-les se corrompre, voilà aussitôt de nouvelles espèces de petits animaux.

Beaucoup de corps qui paroissent solides ne sont presque que des amas de ces animaux imperceptibles, qui y trouvent pour leurs mouvemens autant de liberté qu’il leur en faut. Une feuille d’arbre est un petit monde habité par des vermisseaux invisibles, à qui elle paroît d’une étendue immense, qui y connoissent des montagnes et des abîmes, et qui, d’un côté de la feuille à l’autre, n’ont pas plus de communication avec les autres vermisseaux qui y vivent que nous avec nos antipodes. À plus forte raison, ce me semble, une grosse planète sera-t-elle