Les circonstances même réelles de nos maux, nous prenons plaisir à nous les faire valoir à nous-mêmes, à nous les étaler, comme si nous demandions raison à quelque juge d'un tort qui nous eût été fait. Nous augmentons le mal en y appuyant trop notre vue, et en recherchant avec tant de soin tout ce qui peut le grossir.
On a pour les violentes douleur je ne sais quelle complaisance qui s'oppose aux remèdes, et repousse la consolation. Le consolateur le plus tendre paraît un indifférent qui déplaît. Nous voudrions que tout ce qui nous approche prît le sentiment qui nous possède ; et n'en être pas plein comme nous, c'est nous faire une espèce d'offense : surtout ceux qui ont l'audace de combattre les motifs de notre affliction, sont nos ennemis déclarés. Ne devenons-nous pas au contraire être ravis que l'on nous fît soupçonner de fausseté et d'erreur des façons de penser qui nous causent tant de tourments ?
Enfin, quoiqu'il soit fort étrange de l'avancer, il est vrai cependant que nous ayons un certain amour pour là douleur, et que dans quelques caractères il est invincible. Le premier pas vers le bonheur serait de s'en défaire, et de retrancher à notre imagination tous ses talents malfaisants, ou du moins de la tenir pour fort suspecte. Ceux qui ne peuvent douter qu'ils n'aient toujours une vue saine de tout, sont incurables ; il est bien juste qu'une moindre opinion de soi-même ait quelquefois sa récompense.
N'y aurait-il point moyen de tirer des choses plus de bien que de mal, et de disposer son imagination, de sorte qu'elle séparât les plaisirs d'avec les chagrins, et ne laissât passer que les plaisirs ? cette proposition ne le cède guère en difficulté à la pierre philosophale ; et si on la peut exécuter, ce ne peut être qu'avec le plus heureux naturel du monde, et tout l'art