de la philosophie. Songeons que la plupart des choses sont d'une nature très douteuse ; et que quoiqu'elles nous frappent bien vite comme biens ou comme maux, nous ne savons pas trop au vrai ce qu'elles sont. Tel événement vous a paru d'abord un grand malheur, que vous auriez été bien fâché dans la suite qu’il ne fût pas arrivé ; et si vous aviez connu ce qu'il amenait après lui, il vous aurait transporté de joie. Et sur ce pied-là, quel regret ne devez-vous pas avoir à votre chagrin? il ne faut donc pas se presser de s’affliger : attendons que ce qui nous paraît si mauvais se développe. Mais d'un autre côté ce qui nous paraît agréable peut amener aussi, peut cacher quelque chose de mauvais, et il ne faut pas se presser de se réjouir. Ce n'est pas une conséquence ; on ne doit pas tenir la même rigueur à la joie qu'au chagrin.
Un grand obstacle au bonheur, c'est de s'attendre à un trop grand bonheur. Figurons-nous qu'avant que de nous faire naître, on nous montre le séjour qui nous est préparé, et ce nombre infini de maux qui doivent se distribuer entre ses habitants. De quelle frayeur ne serions-nous pas saisis à la vue de ce terrible partage où nous devrions entrer ? et ne compterions-nous pas pour un bonheur prodigieux d'en être quittes à aussi bon marché qu'on l'est dans ces conditions médiocres, qui nous paraissent présentement insupportables ? les esclaves, ceux qui n'ont pas de quoi vivre, ceux qui ne vivent qu'à la sueur de leur front, Ceux qui languissent dans des maladies habituelles ; voilà une grande partie du genre humain. A quoi a-t-il tenu que nous n'en fussions ? apprenons combien il est dangereux d'être hommes, et comptons tous les malheurs dont nous sommes exempts pour autant de périls dont nous sommes échappés.
Une infinité de choses que nous avons et que nous ne sentons pas, feraient chacune le suprême bonheur