a ; et nous serons ou flattés d'être du nombre, ou moins irrités de n'en être pas.
Puisqu'il y a si peu de biens, il ne faudrait négliger aucun de ceux qui tombent dans notre partage; cependant on en use comme dans une grande abondance, et dans une grande sûreté d'en avoir tant qu'on voudra : on ne daigne pas s'arrêter à goûter ceux que l'on possède ; souvent on les abandonne pour courir après ceux que l'on n'a pas. Nous tenons le présent dans nos mains ; mais l'avenir est une espèce de charlatan, qui en nous éblouissant les yeux, nous l'escamote. Pourquoi lui permettre de se jouer ainsi de nous ? pourquoi souffrir que des espérances vaines et douteuses nous enlèvent des jouissances certaines ? il est vrai qu'il y a beaucoup de gens pour qui ces espérances mêmes sont des jouissances y et qui ne savent jouir que de ce qu'ils n'ont pas. Laissons-leur cette espèce de possession si imparfaite, si peu tranquille, si agitée, puisqu'ils n'en peuvent avoir d'autre ; il serait trop cruel de la leur ôter : mais tâchons, s'il est possible, de nous ramener au présent, à ce que nous avons, et qu'un bien ne perde pas tout son prix parce qu'il nous a été accordé.
Ordinairement on dédaigne de sentir les petits biens, et on n'a pas le même mépris pour les maux médiocres. Que la chose soit du moins égale. Si le sentiment des biens médiocres est étouffé en nous par l'idée de quelques biens plus grands auxquels on aspire, que l'idée des grands malheurs où l'on n'est pas tombé, nous console des petits.
Les petits biens que nous négligeons, que savons-nous si ce ne seront pas les seuls qui s'offrent à nous ? ce sont des présents faits par une puissance avare, qui ne se résoudra peut-être plus à nous en faire. Il y a peu de gens qui quelquefois en leur vie n'aient eu regret à quelque état, à quelque situation dont ils