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Page:Fontenelle - Pages choisies, Potez, 1909.djvu/131

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n'avaient pas assez goûté le bonheur. Il y en a peu qui n'aient eux-mêmes trouvé injustes quelques-unes des plaintes qu'ils avaient faites de la fortune. On a été ingrat, et on est puni.

Il ne faut pas, disent les philosophes rigides, mettre notre bonheur dans tout ce qui ne dépend pas de nous ; ce serait trop le mettre à l'aventure. Il y a beaucoup à rabattre d'un précepte si magnifique : mais le plus qu'on en pourra conserver, ce sera le mieux. Figurons-nous que notre, bonheur devait entièrement dépendre de nous, et que c’est par une espèce d'usurpation que les choses de dehors se sont mises en possession d'en disposer : ressaisissons-nous autant qu'il est possible d’un droit si important, et si dangereux à confier ; remettons sous notre puissance ce qui en a été détaché injustement.

D'abord, il faut examiner, pour ainsi dire, les titres de ce qui prétend ordonner de notre bonheur ; peu de choses soutiendront cet examen, pour peu qu'il soit rigoureux. Pourquoi cette dignité que je poursuis m'est-elle si nécessaire ? c'est qu'il faut être élevé au-dessus des autres. Et pourquoi le faut-il ? c'est pour recevoir leurs respects et leurs hommages. Et que me feront ces hommages et ces respects ? ils me flatteront très sensiblement. Et comment me flatteront-ils, puisque je ne les devrai qu'à ma dignité, et non pas à moi-même ? Il en est ainsi de plusieurs autres idées qui ont pris une place fort importante dans mon esprit : si je les attaquais, elles ne tiendraient pas longtemps. Il est vrai qu'il y en a qui feraient plus de résistance les unes que les autre : mais selon qu'elles seraient plus incommodes et plus dangereuses, il faut revenir à la charge plus souvent et avec plus de courage. Il n'y a guère de fantaisie que l'on ne mine peu à peu, et que l'on ne fasse enfin tomber à force de réflexions.