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LE RAJAH DE BEDNOURE,

flétri, brisé ; il ne m’entendait plus : la voix de l’amitié était étouffée par le cri du repentir. Bien des jours se passèrent ainsi ; elle refusait presque toute espèce de nourriture ; le sommeil ne venait plus rafraîchir son sang : quand je prenais ses mains dans les miennes, ses yeux se fixaient sur les miens avec une sécheresse égarée, stupide. L’emploi de ses tristes journées était un aveu continuel de son amour : on la trouvait toujours entourée des dessins, de la musique, que William avait laissés ; elle se piaçait là où il s’asseyait, et on l’arrachait difficilement de la chambre qu’il avait habitée. Lorsque je parvins enfin à obtenir quelques paroles de Solamé, ce fut pour me prier de l’abandonner, d’aller avouer à Misra sa perfidie, sa lâcheté. « Il sera bientôt vengé, ajouta-t-elle ; bientôt. Mais vous, mon ami, rendez-moi ce dernier service : allez vers le rajah ; portez-lui tout ce que je possède, tout ; détournez-le de venir à Anjenga, il ne m’y trouverait plus. » Et, navrée, anéantie de ce nouvel effort, elle retomba dans un affreux accablement. Ah ! me dis-je alors avec amertume, le poète indien a raison : « Le cœur de la femme la plus vertueuse est aussi mobile que les îles