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les mystères de montréal

Dès qu’il se sentit atteint, le capitaine Smith s’empira d’heure en heure. Le troisième jour il était très mal.

Minuit sur l’Atlantique. À travers la faible lumière projetée dans la chambre par la lampe entourée d’un abat-jour improvisé dont les dentelles se reflètent sur la cloison, on voit le vieux marin cloué sur sa couche.

Cette nuit il est d’une extrême pâleur jaune. Ses traits énergiques défigurés en peu de temps ont conservé toute la vigueur de l’âge mûr. Ses yeux ternes parcourent sans cesse et vaguement la chambre qu’ils semblent considérer pour la dernière fois. Souvent ils se reposent sur un homme assis au chevet du lit.

Celui-ci est Nicolas Houle. Un livre à la main dont il tourne les pages avec distraction, sans les lire, il a de fréquents coups-d’œil pour le moribond. Quand leurs regards se croisent chacun des hommes baisse la vue, mais un découragement profond mouille la paupière du jeune second, tandis que le capitaine du Marie-Céleste soupire de ce soupir précurseur de la mort.

Au milieu de cette nuit de silence, il dit à son ami.

— Je vais mourir, mon cher Nicolas, je le sais.

Houle stupéfait par la voix éteinte avec laquelle Smith parlait, s’approcha du moribond et répondit.

— Vous vous faites peur, capitaine, heureusement que votre crainte est sans motif… Une attaque de malaria… bah !… vous croyez que c’est une grosse affaire, vous qui n’avez jamais été malade, allons donc, avant d’arriver à Terreneuve vous n’en parlerez plus.