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le pouce crochu

rencontré à des heures indues sur la route de la Révolte. Je vous prie de croire que je ne fais pas de ce chemin mal famé ma promenade habituelle. Mais j’ai dîné, ce soir, chez de vieux amis à moi qui ont une villa près de Saint-Ouen, et au lieu de rentrer à Paris en voiture, il m’a pris fantaisie de traverser à pied ces régions inconnues qui, dit-on, fournissent très souvent de faits-divers les journaux bien renseignés. Je cherchais vaguement une aventure et je me félicite de celle qui m’est échue.

Remarquez, ajouta-t-il gaiement, que je pourrais m’étonner aussi de vous avoir trouvée perdue dans ces solitudes où les jeunes filles ne s’aventurent guère.

— Vous savez déjà ce que j’y venais faire, murmura mademoiselle Monistrol, assez embarrassée.

— Oh ! je ne vous demande pas d’explications. Mais vous me permettrez bien de vous dire qui je suis. Je m’appelle Georges de Menestreau, j’ai trente ans, quelque fortune, et il ne reste plus que moi de ma race. J’ai beaucoup voyagé en Orient, après avoir longtemps habité Paris, où je suis rentré, il y a huit jours, et où je compte me fixer définitivement. Je trouve que j’ai assez couru le monde et je veux me reposer.

Mais mon histoire, je le crains, ne vous intéresse guère, et j’arrête là le chapitre des renseignements.

Maintenant, il faut bien que je vous prie de ne plus vous appuyer sur mon bras. Nous voici à la barrière, et les commis sont curieux par état. Ils pourraient trouver extraordinaire de voir un monsieur en redingote noire remorquant un jeune ouvrier en blouse, et ils s’imagineraient peut-être que nous nous sommes entendus pour frauder l’octroi. S’ils s’avisaient de vous fouiller, ils découvriraient que vous êtes une femme déguisée, et ce serait bien pis.