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le pouce crochu

se montrer si réservé, mais elle ne devinait pas à qui elle avait affaire.

Ils approchaient de la porte de Saint-Ouen et les becs de gaz étaient déjà moins rares. En regardant à la dérobée son défenseur, elle put constater qu’il était grand, mince et élégamment tourné. Elle reconnut aussi qu’il était habillé comme un gentleman : pardessus d’une bonne coupe, chapeau haut de forme, bottines pointues, gants de chevreau. La canne dont il s’était si magistralement servi pour rosser deux drôles vigoureux était un jonc de moyenne grosseur, monté en argent ciselé. On ne se serait pas douté que ce cavalier vêtu à la mode de demain venait de livrer une bataille assez sérieuse. Sa toilette était intacte. Pas un des boutons de ses gants n’avait sauté pendant qu’il s’escrimait comme un bâtonniste de profession.

Que pouvait faire, à minuit passé, dans la plaine Saint-Denis, un personnage qui semblait appartenir au meilleur monde ?

Mademoiselle Monistrol se le demandait et s’étonnait de cette anomalie. Il lui passait par l’esprit que la rencontre avait peut-être été préméditée par ce monsieur, d’une tenue si correcte. Mais dans quel but ? Le sauveur ne pouvait pas savoir qui elle était et il n’avait assurément aucune accointance avec le clown forain ou la danseuse de corde qui venaient de se débarrasser par un crime du pauvre Georget et du malheureux Courapied.

On aurait pu croire que l’inconnu lisait dans la pensée de Camille, car, à cent pas de la barrière, il rompit le silence où il se renfermait discrètement et ce fut pour dire à sa protégée :

— Vous devez vous étonner, mademoiselle, de m’avoir