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Page:Fortuné du Boisgobey - Le Pouce crochu, Ollendorff, 1885.djvu/9

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le pouce crochu

— Du reste, reprit Monistrol, avant de monter dans ma chambre, j’irai mettre les verrous à la porte d’en bas. Reprends ta tapisserie, mon enfant, pendant que je terminerai mon travail. Ce ne sera pas long.

Le père et la fille se remirent à la besogne, chacun de son côté ; le père avec ardeur, la fille assez mollement.

Les doigts de Camille manœuvraient distraitement l’aiguille dans la laine, mais ses yeux ne suivaient plus son ouvrage.

Elle rêvait au brillant avenir qui s’ouvrait devant elle et à la vie paisible qu’elle allait quitter.

Elle la regrettait déjà, cette existence modeste qui suffisait à la rendre heureuse, et la richesse l’effrayait.

Camille n’avait pas d’ambition, mais elle était nerveuse à l’excès, et elle se trouvait dans la même position d’esprit qu’un homme qui va s’embarquer pour un pays inconnu, et qui préférerait ne pas s’éloigner du village où il est né. Son imagination surexcitée ne lui montrait que les périls du voyage, et elle avait le vague pressentiment d’un malheur prochain.

Un bruit très léger la fit tressaillir, un craquement presque imperceptible.

On eût dit qu’on marchait avec précaution dans la salle à manger, qui n’était séparée du petit salon que par une double portière dont les embrasses étaient dénouées.

Elle se tut de peur de troubler son père, qui n’avait rien entendu, absorbé qu’il était par son travail, mais elle leva la tête et elle regarda attentivement.

Elle ne vit d’abord rien d’insolite, et, comme le bruit avait cessé, elle allait se remettre à sa tapisserie, lorsqu’elle crut apercevoir une main qui s’était glissée entre les deux rideaux et qui se détachait en noir sur le fond clair d’une des portières de soie.