Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/112

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clarons-le sans ambages : les deux sites du « Puits-de-la-flèche » et du « Trou-de-l’éléphant » n’étaient de toute évidence que des attrape-nigauds ; et, comme eux, plus d’un des sites de Kapilavastou et d’ailleurs avaient été inventés après coup pour permettre l’exploitation pieuse de quelque caprice de la nature. N’oublions pas que le rançonnement éhonté des pèlerins est l’une des plus vieilles industries de l’Inde, et celle dont vivent toujours nombre de ses brahmanes, d’ailleurs méprisés de ce fait au sein de leur propre caste. Nous ne prétendons pas davantage que la localisation d’une légende la préserve contre toute déformation : si Hiuan-tsang a bien compris les propos de ses cicérones, ceux-ci avaient embrouillé ledit épisode de l’éléphant, en faisant tuer celui-ci par Dêvadatta à la fin, et non plus au début de la grande journée de la Compétition sportive[1]. Mais tout ceci bien entendu, il n’en reste pas moins qu’après un millier d’années les voyageurs chinois ont encore entendu évoquer sur place des souvenirs qui, transmis de bouche en bouche, s’étaient en gros conservés grâce, comme ils disent, « aux sacrés vestiges » qui en assuraient la mémoire. Qu’au lieu d’une invention mensongère nous ayons affaire à une information exacte, on ne voit pas pourquoi la vérité se serait montrée moins durable que l’erreur, ou sa transmission moins fidèle. Quand l’inscription qu’a fait graver Açoka sur son indestructible pilier nous indique la place du jardin de Loumbinî, aucune hésitation ne semble permise sur la valeur historique de cette information : entre les deux extrêmes du mensonge évident et du document authentique il y avait place, cela va de soi, pour bien des combinaisons. Il se peut que plusieurs des sites les plus importants, tels que ceux des palais royaux, des salles d’école et de gymnastique, et de la porte du Grand départ aient été consacrés de bonne heure avec quelque exactitude et soient restés marqués par des ruines à fleur de sol. Ainsi le même flot traditionnel a roulé de siècle en siècle quelques vérités mêlées à beaucoup de fictions : n’en demandons pas davantage.

C’est là en effet, on l’a déjà deviné d’avance, que nous voulions en venir. Au cours des quatre chapitres précédents nous avons donné une grande place à la légende : peut-être aura-t-on trouvé que nous lui avons fait la part trop large. Devant tant de fables imaginées pour l’édification des fidèles bouddhiques et qui pour notre incrédulité ne distillent plus guère que de l’ennui, nous concevons que le lecteur ait pu se demander s’il n’eût pas mieux valu les déblayer en trois lignes. Peut-être même persévère-t-il à considérer comme chimérique l’espoir que nous avons plusieurs fois exprimé d’en extraire en fin de compte un peu d’histoire. Nous souhaiterions que les quelques raisons que nous venons d’exposer l’incitent à excuser notre entêtement à n’en pas démordre. Certes la tradition bouddhique souffre, par rapport à la chrétienne, d’un terrible désavantage. Dans l’Inde la conquête musulmane, en exterminant ou expulsant la Communauté des moines, a eu

  1. Pour d’autres exemples de déformations analogues v. supra p. 146-7.