Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/124

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logiens védiques auraient refusé d’enseigner à fond au Kshatriya qu’il avait été leurs hymnes sacrés avec leurs gros commentaires techniques. Il était d’ailleurs trop tard pour qu’il pût entreprendre de si longues et si laborieuses études, et, de fait, la tradition bouddhique n’a jamais attribué à son Maître aucune compétence en matière de Véda[1]. Mais la caste sacerdotale avait aussi ses « renonçants », tout pareils à l’ « errant » qu’il était lui-même devenu, et il eût pu être admis dans l’un ou l’autre de leurs ordres[2]. Enfin l’accès des ermitages où les « anachorètes des bois » (les vâna-prastha des Indiens, les hylo-bioi des Grecs) vivaient en lisière de la forêt, sous des huttes de feuillage, avec leurs femmes, leurs enfants, leurs disciples, leurs troupeaux et leurs feux sacrificiels, était d’avance permis à tous les religieux mendiants, et il restait ainsi un large champ ouvert aux discussions entre gens semblablement préoccupés des choses éternelles. Nous sommes justement au temps où, dans les sortes de séminaires qu’étaient les âçrama, s’élaboraient ces recueils de spéculations mi-ritualistes et mi-philosophiques qui ont suscité en Europe tant de curiosité sous leur nom d’Oupanishad depuis qu’Anquetil-Duperron en a donné une première traduction d’après une version persane et que Schopenhauer en a exalté la profondeur. Dans ces compilations scolaires, véritables cahiers de notes des étudiants en Védanta, les maîtres brahmaniques avaient dû faire une large part aux idées des nobles laïques ; et tout fait croire que le Bodhisattva serait devenu, par droit d’intelligence autant que de naissance, un brillant champion de la sagesse reconnue aux princes[3]. Mais si les Oupanishads restent la source dont continuent à se réclamer tous les rénovateurs du brahmanisme, elles ne sont jamais devenues ni, quoiqu’on en ait dit, ne pouvaient devenir les évangiles d’une nouvelle religion, et l’Inde n’aurait connu ni Bouddha ni bouddhisme.

Quand nous sommes en veine d’hypothèses controuvées, abusons jusqu’au bout de la liberté que cet aveu nous laisse, et supposons que l’humeur errante du çramane ait poussé Gaoutama encore plus loin dans « l’Inde du Nord ». Il y a peu d’apparence que, tel que nous le connaissons, il fût devenu membre de la secte çivaïte des Pâçoupata, ces ascètes demi-nus, au corps frotté de cendres, qui dominaient dès lors dans la région et arboraient à la façon des anachorètes brahmaniques d’énormes chignons et des barbes de fleuve ; mais une singulière aventure lui eût été de toutes façons réservée. S’il est bien mort vers 477 au début du règne de Xerxès-Assuérus, il fut le contemporain des conquêtes indiennes de Cyrus le Grand et de Darius Ier, et les inscriptions cunéiformes, démentant le silence systématique des historiens grecs, attestent que ces conquêtes s’étendirent à tout le bassin de l’Indus, de sa sortie des montagnes à la mer Erythrée, et, à l’Est, jusqu’à la quatrième des cinq rivières du Pandjâb, la Vipaçâ (Biâs), laquelle n’est autre que cette Hyphasis que les compa-

  1. Le passage du LV cité supra p. 84 n’a aucune valeur probante.
  2. Par ex. dans celui des Tri-daṇḍin auquel appartenait le dernier converti Subhadra (cf. AgbG II, p. 260 et supra p. 311-2).
  3. Sur la « sagesse du prince » v. la bibliographie donnée par Oldenberg p. 70.