Page:Foucher - La Vie du Bouddha, 1949.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gnons d’Alexandre, satisfaits d’avoir rétabli l’empire perse dans ses anciennes limites, se refusèrent obstinément à franchir. Les armées et l’administration achéménides qui, dans cette sorte d’Inde extérieure ou, comme on disait, « d’Inde blanche », ont introduit l’écriture araméenne, instauré jusqu’à Taxila le rite mazdéen des Tours du silence et suscité sur place jusqu’à Moultân des « brahmanes-mages » attachés au temple du Soleil, y avaient apporté également avec elles le culte du grand Ahoura et les doctrines zervanistes et zoroastriennes[1]. Comment le Bodhisattva aurait-il réagi au contact du dualisme iranien et des conceptions religieuses de Zarathoushtra, nous n’entreprendrons pas de le deviner ; tout ce que nous voulons ici montrer, c’est que, parti dans la direction du Nord-Ouest, il se serait toujours trouvé enserré dans des formes de civilisation déjà rigidement arrêtées. Prisonnier d’un état social et d’un cercle d’idées totalement différents de ceux où il va se mouvoir avec tant d’aisance et de durable succès, il eût été à tout jamais perdu pour l’histoire.

Futiles considérations, dira-t-on ; peut-être ne le sont-elles pas autant qu’un critique impatient le pense. Le pays de Koçala se trouvait en effet occuper une situation intermédiaire entre les États profondément aryanisés et brahmanisés des Kourous et des Pañtchâlas, à l’Ouest, et, à l’Est, ceux de Vidêha et du Magadha qui n’avaient au contraire reçu ou subi qu’une faible colonisation aryenne et une plus mince teinture de brahmanisme. Représenté actuellement par la province d’Aoudh, il allait être le berceau du Râmâyana comme ses voisins de l’Ouest celui du Mahâbhârata, et l’on y respirait déjà un air aussi différent que le sera le ton respectif des deux vieilles épopées. Pour en donner une idée au lecteur européen, disons que de l’une à l’autre on passe des conflits brutaux des Niebelungen aux aventures sentimentales des romans de la Table ronde. L’atmosphère du pays de Râma, plus douce que celle du champ de carnage du Kouroukshetra, était toutefois moins amollissante que celle des pays dits « Orientaux[2] » ; car le flot viril des envahisseurs aryens avait un instant submergé ces riches campagnes, et si les officiants védiques n’avaient encore pu y établir la suprématie de leur caste, ils y avaient du moins partout dressé leurs autels de briques et s’étaient introduits à la cour de tous les râdjas. Issu de cette région indécise, Siddhârtha pouvait pencher aussi bien d’un côté que de l’autre : Ayodhyâ sur la Sarayou, Çrâvastî sur la Raptî, sont à peu près à mi-chemin entre le cours supérieur du Gange et cette rivière Sadânîrâ (probablement l’une des branches du Gandhak) au delà de laquelle, de l’aveu du « Brâhmana des Cent chemins », le feu du sacrifice, Agni Vaiçvânara, n’avait que tardivement brillé. Assurément des brahmanes avaient déjà pénétré plus avant : nous trouverons bientôt un de leurs ermitages, et des plus considérables, en plein cœur du Magadha, et de grandes familles brahmaniques fourniront localement au Bouddha les

  1. Cf. Mém. Délég. arch. fr. en Afghanistan I p. 190 s.
  2. Skt Prâcya, les Prasioi des Grecs.