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classique et le christianisme ne suffit pas, il le sait du reste, à trancher le débat. Des esprits ingénieux n’ont-ils pas prétendu assigner aux doctrines judéo-chrétiennes des origines purement helléniques ? Et, tout compte fait, ne faut-il pas reconnaître une part de vérité jusque dans l’outrance de cette thèse, alors que le christianisme, sitôt né, s’est trouvé plongé dans la civilisation gréco-romaine ? Il serait de même excessif de soutenir que le Bodhisattva ait tout ignoré de la culture de l’Inde brahmanique. D’origine aryenne, lui-même prétendait l’être, s’il est vrai que sa famille faisait remonter sa généalogie jusqu’au grand roi de la race solaire Ikshvâkou. Aryanisé déjà dans une forte mesure était le pays où il a vu le jour et où il a passé la meilleure partie de sa jeunesse. De caste brahmanique étaient sinon son maître d’école[1], du moins les chapelains et les astrologues de son père, et aussi, semble-t-il, les deux professeurs de philosophie dont, de l’aveu de ses fidèles, il va de ce pas suivre les leçons. Bien des lieux communs, bien des coutumes consacrées, bien des expressions toutes faites et jusqu’au ton de leur style seront empruntés par lui et les membres de son ordre à la sagesse, à l’expérience, à la littérature antérieures de leurs aînés, les sages et les ascètes du Madhyadêça : mais en dépit de ces rapports superficiels, il n’en subsiste pas moins entre l’essence du brahmanisme et celle du bouddhisme une opposition si foncière que seule, à notre avis, une différence radicale de milieu ethnique, de climat physique, d’ambiance intellectuelle et morale peut suffire à expliquer l’élaboration de ces deux religions, l’une dans la partie occidentale et l’autre dans la partie orientale du même bassin du Gange.

La visite du roi Bimbisâra. — La quête de l’Illumination connaît (nous l’avons fixé ci-dessus) un itinéraire traditionnel : la tradition a également pris soin de nous transmettre son emploi du temps. Les sept ans qu’elle aurait duré se partagent en deux périodes très inégales, consacrées par le Bodhisattva l’une à des études, l’autre à des mortifications qu’on nous dit avoir été aussi dures que vaines. La première réduite à une année, aurait encore été coupée par un changement de résidence ; la seconde se serait prolongée sans interruption ni déplacement pendant six ans entiers. Leur durée respective mise à part, nous reconnaîtrons à toutes deux un certain caractère historique. On ne peut en dire autant des deux autres épisodes auxquels la légende a eu recours pour étoffer et diversifier l’époque de transition entre l’Abhinishkramana du prince et l’Abhisambodhana de l’ascète[2]. C’est d’abord le brahmane Bhârgava, puis le roi Çrênya Bimbisâra du Magadha qui auraient tour à tour invité le Bodhisattva à partager, l’un son ermitage, et l’autre son royaume. Le premier incident ne vaut pas qu’on s’y arrête. Il s’agissait de compenser par avance l’humiliant aveu que le Bouddha avait commencé par être le disciple de maîtres brahmaniques ; et, pour ce faire, quoi de plus simple que de forcer un descendant de Bhrigou, le plus

  1. Il n’est pas clair que la légende bouddhique ait prétendu donner au Bodhisattva le même précepteur qu’à Râma, et d’ailleurs le Viçvâmitra de ce dernier passait pour avoir été un kshatriya avant de se transformer à force d’austérités en brahmane. Quant à ses deux maîtres en religion on croit généralement, sur la foi de leurs noms, qu’ils étaient d’origine brahmanique, mais non de persuasion orthodoxe (cf. supra p. 76 et 129 s.).
  2. Sur les flottements de la tradition en ce qui concerne cette période v. AgbG I p. 371 s., fig. 188-101 et le tableau dressé par E. Windisch Mâra und Buddha p. 229.